High Maintenance in Toulouse

06 February 2011

R'n'Bass

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HMiT s'en était fait l'écho à l'occasion de la sortie de la dernière compilation signée Brodinski : l'année écoulée semble avoir remis au goût du jour la pratique du bootleg R'n'B. Les remix de Cassie commandités par le label Local Action, les travaux de Deadboy ou Brenmar ainsi que les relectures de Groove Theory et Kelis ci-dessous illustrent l'impressionnante série de morceaux pris en flagrant délit de détournement de minauderies vocales à peine majeures (ok, pour Kelis pas de souci).

Groove Theory - Tell Me Remix by George FitzGerald

Kelis - Brave (Dark Sky Remix) out now by Dark Sky

Pourtant le phénomène est loin d'être nouveau. On pourrait même affirmer qu'il est indissociable de l'histoire de la techno car aucun sous-courant ne s'est exonéré de l'exercice depuis le début des années 1990. Toutefois, c'est bien l'ensemble des sous-genres constituant ce qu'il est désormais convenu d'appeler la bass music qui a systématisé le trafic plus ou moins légal (plutôt moins) des vocaux R'n'B. De par leurs racines plus hip-hop, les techniques de production mises en œuvre par le breakbeat hardcore early 90's ont imposé le recours massif au sampling, au niveau rythmique mais également au niveau mélodique dans la pure tradition jamaïcaine du recyclage permanent. Ainsi la scène rave hardcore s'est transformée en ogre insatiable dévorant sans discernement vocaux reggae, soul, disco, pop ou R'n'B (à une époque où celui-ci prend sa forme moderne sous le vocable New Jack Swing) avec pour mission d'intensifier à moindre frais le sentiment euphorique généré par la frénésie rythmique des morceaux. Au départ il s'agit avant tout d'isoler une partie anthémique mais restreinte de la chanson d'origine afin de disposer d'une accroche mélodique facilement identifiable par l'auditeur. Dans ce cadre le R'n'B américain représente une proie facile notamment pour la jungle, héritière directe du breakbeat hardcore, lorsque celle-ci entame ses expérimentations musicales avant-gardistes vers 1993 : en témoigne l'utilisation de l'organe d'R Kelly par Potential Bad Boy qui, s'extirpant de nappes ambiant, offre un contrepoint bienvenu au bombardement de beats opéré par Have No Fear. Le procédé, parce qu'il recontextualise musicalement la partie vocale, l'extrayant souvent de son océan de guimauve originel, en transforme également le sens comme en attestent deux morceaux de DJ SS s'appropriant respectivement les chants d'Alison Williams (une artiste Def Jam ) et Whitney Houston.

Potential Bad Boy - Have No Fear (1993)

Rhythm For Reasons - The Love Statement (1994)

DJ SS - Black (1995)


Il faut cependant attendre l'émergence du UK garage (genre dont beaucoup de producteurs contemporains se revendiquent) pour assister à la généralisation du véritable bootleg R'n'B ne se contentant pas d'emprunts plus ou moins discrets au morceau original mais en proposant tout simplement une version déviante. Plusieurs raisons peuvent expliquer l'explosion du phénomène dans la deuxième moitié des années 1990. D'abord une étrange convergence stylistique s'opère entre musique électronique britannique et R'n'B US, ce dernier intégrant, par la grâce de producteurs novateurs tels les Neptunes, Timbaland ou Rodney Jerkins, des beats syncopés similaires aux routines 2 step employées par la dance music anglaise. De son côté, le UK garage entend récupérer l'audience féminine perdue par la jungle, ce qui passe par un adoucissement du son rendu possible par les voix sucrées du R'n'B, d'autant plus que leur détournement est encouragé par les maisons de disques qui laissent traîner des acappellas sur les EPs de leurs pouliches dans le secret espoir de se les faire chaparder. Par ce biais, les majors peuvent pénétrer le marché club pour éventuellement sortir officiellement des remix non autorisés à l'origine (en cas de succès underground) quand les producteurs garage espèrent écouler leurs white labels en profitant de mélodies déjà populaires sans payer de droits. De ces intérêts croisés naît l'idée furtive que le UK garage constitue une version futuriste du R'n'B dédiée à la génération rave. Si beaucoup de ces bootlegs exploitent à fond le potentiel commercial des morceaux originaux en se contentant de les dynamiser (cf. The Boy Is Mine), d'autres en proposent des versions irréelles aux aspects érogènes amplifiés (cf. le reworking du Best Friends de Brandy par Large Joints) ou jouent sur les effets de contraste entre rudesse rythmique/masculinité et volupté vocale/féminité (cf Sovereign Vs Destiny's Child).

Brandy & Monica - The Boy Is Mine (Architects Remix) (1998)

Large Joints - Friends (1998)

Myron - We Can Get Down (Groove Chronicles Remix) (1998)


Sovereign - Bug A Boo (2000)


Angie Stone - Brotha (El B Remix) (2002)


Les producteurs post-garage adoptent par la suite une attitude plus inégale face au R'n'B dans les années 2000. Si des bidouilleurs early grime et bassline comme Big Shot perpétuent la tradition du bootleg, si d'autres tentent de féminiser le grime (le label Aftershock a même lancé le R'n'G, fusion R'n'B/grime), ce dernier courant privilégie assez vite la testostérone, négligeant bientôt les divas US pour laisser place à la hargne des mcs. Pourtant, de façon assez ironique, le genre a surexploité les instrumentaux R'n'B pour mettre en valeur le flow d'hommes en colère renversant par là-même la logique initiale du bootleg. Ce relatif désintérêt autorise l'essor de scènes concurrentes qui, à l'instar de la drum'n'bass, de la bassline house puis de la UK funky, n'hésitent pas à piller Cassie, Brandy, Rihanna et leurs petites copines pour attirer les filles.

Ashanti - Rock Wit U (Big Shot Remix) (2003)

Wiley & Kano - Yeah (Usher Underground Freestyle)

Beyoncé - Naughty Girl (TC VIP Bootleg) (2004)

Aaliyah - Are U That Somebody (T2 Bassline Bootleg)


Dans un premier temps la plupart des acteurs dubstep abandonnent eux aussi progressivement le détournement de vocaux féminins, assimilé à une tentative appuyée de pénétrer le mainstream, pour préférer un minimalisme instrumental qui précipite un retour à l'underground. Il faudra attendre l'émergence du son Burial, qui sample abondamment Beyoncé ou Ray J, pour voir réapparaître en masse des fragments vocaux fantomatiques de divas US au sein des productions dubstep puis future garage. Le processus encourage bien sûr la résurgence de bootlegs en bonne et due forme, certains remarquables à l'exemple du travail effectué par Mala à partir des vocalises d'Alicia Keys.

Mala - Alicia (2007)

Deadboy - Long Way 2 Go (Bootleg de Cassie) (2010)


Parce qu'elle reprend à son compte le délire samplédélique du breakbeat hardcore, la ghetto bass des années 2000, dans toutes ses composantes, s'en donne à cœur joie question trafic d'organes féminins. Compte tenu de la faiblesse de leurs moyens, baile funk ou Bmore se contentent souvent de glisser joyeusement une rythmique générique sous un accappella R'n'B mais des producteurs plus aventureux, Diplo ou Switch par exemple, reconstruisent entièrement le morceau original (euh , pas toujours concernant Diplo). A l'heure de l'internet triomphant, il suffit de jeter un œil sur les charts de Hype Machine pour constater à quel point l'exercice du bootleg R'n'B s'est banalisé : tour de chauffe pour les producteurs en herbe, simple plaisir de remixeur du dimanche ou stratégie de communication visant à se faire repérer sur la toile, la pratique aboutit en tous cas à une démultiplication de relectures inégalement réussies, dissolvant quelque peu le supplément d'âme recherché par tous chez les divas US.

Curtis Vodka - Hey Girl (Remix Bmore de Chris Brown) (2006)

Missy Elliot - Bad Man (Diplo Remix) (2006)

P.Diddy Ft. Christina Aguilera - Tell Me (Switch Remix) (2007)



Bonus Tracks:

Brandy - Angel In Disguise (Fantastic Mr Fox's Nature Boy Rerub) [Unreleased / 2010]

3 comments:

mpulse said...

Toujours un plaisir de te lire Nikki Sonic! Excellent post!

Nikki Sonic said...

Merci Mpulse ! Ton soutien me fait super plaisir !

La Mate said...

c'est vraiment top nikki ! super article