High Maintenance in Toulouse

09 December 2011

L'année 2011 en quelques néologismes



Inégale dans ses propositions, la dance-music version 2011 n'aura pas échappé à la loi d'airain dont procède traditionnellement son évolution. Agissant par hybridation, par recombinaison d'éléments préexistants, revisitant son passé à l'aune du présent, elle a pu produire d'excellents morceaux durant l'année sans toutefois être en mesure de faire jaillir une profonde révolution des formes sonores.La faute en revient souvent à un contexte de production,de diffusion et d'écoute totalement bouleversé à l'heure du net, achevant de consacrer une forme de globalisation musicale qui, paradoxalement, affaiblit son impact général. Prisonnière d'une dynamique rhizomique , la dance-music ne se mondialise en effet qu'en se fragmentant, créant toujours plus de micro-courants peu propices à l'élargissement de son public, qui lui même se segmente à l'infini, en l'absence d'un ancrage territorial fort susceptible de procurer de solides bases à un développement idiosyncratique. En un sens, l'electro semble de plus en plus post-géographique tout en continuant à hybrider des genres précisément définis par leurs origines territoriales (la techno/house de Detroit/Chicago/Berlin , le UK garage, ...) . A l'inverse, les tentatives pour fédérer et unifier tous ces courants en un mouvement de masse s'effectuent souvent au détriment des valeurs de la dance-music tant les genres les plus populaires cette année reprennent en réalité à leur compte les principes du rock comme en témoigne l'audience toujours croissante d'un dubstep désormais plus proche du heavy metal que de ses racines londoniennes. Ce constat établi, petite revue des tendances que l'on a cru déceler dans ce foisonnement musical version 2011 à partir de quelques néologismes plus ou moins improbables.

Glime: littéralement, courant qui vise à rendre glamour le grime.Par extension, désigne tout ravalement de façade sonore qui tend à inverser les valeurs d'un genre musical underground pour le rendre désirable aux oreilles d'un large public juvénile, selon la recette appliquée par Daft Punk en son temps sur la house.Exit donc le minimalisme dark, le son crade , les atmosphères trop déprimantes de désespérance sociale et place à une approche maximaliste conjuguant synthés multicolores en 3D,  gimmicks vidéoludiques flashy et vocaux sous hélium. Force est de constater que si cette captation du capital subculturel des prolétaires par des futurs nouveaux riches à peine majeurs va quelque peu à l'encontre de nos idéaux désuets de redistribution égalitaire des richesses, elle a produit cette année des résultats enthousiasmants (Glass Swords de Rustie, bien sûr).
Meilleurs exemples  2011 : Rustie, Hudson Mohawke, Kampfhaft, Sinjin Hawke.

The Lights EP >>> OUT NOW by Sinjin Hawke


Youkigaragisme: Artisan basé à Sydney , Toronto ou plus exceptionnellement à Londres, le youkigaragiste est nostalgique d'un temps qu'il a rarement connu, faute d'avoir eu 20 ans en 1998, depuis qu'il est tombé sur un vieux track de Groove Chronicles en flânant sur YouTube.Dès lors il n'a de cesse de vouloir faire swinger ses beats comme Steve Gurley tout en passant ses nuits sur E-Bay à regarder s'envoler la cote des vieux maxis d'Industry Standard.
Meilleurs exemples 2011 : Mosca,Chaos in the CBD, VVV.


Le syndrome "ich bin ein Berliner" : déménagement précipité d'un producteur pour Berlin. Profitant ainsi d'un logement au loyer modique et d'une atmosphère créative optimale, le quidam ne tarde pas à réviser ses orientations musicales sur les bons conseils de Marcel Dettmann afin d'exploiter les nouveaux débouchés économiques qui s'offrent à lui.Désormais habité par des valeurs de rigueur et d'austérité rythmiques, il s'abandonne au purisme techno et deep house dans une stricte filiation Detroit/Chicago, villes jumelées à Berlin depuis au moins Kennedy. NB : pour ceux qui craignent les hivers à moins 10° C, marche aussi sans se relocaliser dans la capitale allemande.
Meilleurs exemples 2011 : Scuba, Cosmin TRG.

 
(Tech)no future: fâcheuse tendance pour un  producteur de bass music à technoïser ses tracks pour diverses raisons : parce qu'il aspire à un rythme de vie plus régulier incompatible avec les breakbeats ,  parce qu'il veut être playlisté par a)Jeff Mills, b)Richie Hawtin c)Carl Craig , parce qu'il est atteint du syndrome "ich bin ein Berliner". Problème : ses tracks finissent par ressembler à un vieux morceau de a)Jeff Mills, b)Richie Hawtin, c)Carl Craig.
Meilleurs exemples 2011 : le label 3024, Blawan, Boddika.

 
Jacquesyourbodisme: découverte subite des origines de la dance-music par un producteur qui ne jure désormais plus que par la House de Chicago. Tenant absolument à faire partager son enthousiasme, celui-ci nous gratifie dès lors de tracks que l'on possède déjà depuis 1987.
Meilleurs exemples 2011 : Jacques Greene, Julio Bashmore, Maurice Donovan.


 
DiPisation : A ne pas confondre avec la pratique en vogue dans l'industrie du film pour adultes. Processus de vieillissement accéléré d'un producteur passé l'âge de 22 ans (21, si celui-ci est issu du post-dubstep). La DiPisation se manifeste par l'apparition d'un esprit musical plus mature, plus deep, empreint de préoccupations existentielles qui ont l'air très très profondes. Se conjugue souvent au Jacquesyourbodisme ou au (Tech)no future.
Meilleurs exemples en 2011 : Koreless,Georges Fitzgerald, Eliphino, Maya Jane Coles, Disclosure.

Eliphino - More Than Me by somethinksounds


Cobrandisme: pratique qui consiste pour un producteur de musique de danse à construire un morceau autour d'un acapella de Brandy afin d'associer son nom relativement inconnu à une figure mondialement appréciée. Le cobrandisme aboutit immanquablement à un buzz certain se traduisant par une augmentation significative du nombre de followers sur Soundcloud. En fonction de la notoriété du bidouilleur et de la qualité du morceau, le cobrandisme peut déboucher soit sur un MP3 en téléchargement libre sans photo sexy de Brandy , soit sur le pressage d'un white label sans photo sexy de Brandy . Marche aussi avec Rihanna , Ciara ou Cassie.
Meilleurs exemples 2011 : Blawan , DJ Q.



After Eight-O-Eight : littéralement, courir après le succès de la juke et du footwork en exploitant à fond les sonorités de la TR 808. Une tendance lourde démarrée en 2010 mais qui s'est encore intensifiée cette année en version IDM , chopped and screwed ou electro vintage et hybridé avec à peu près tout et n'importe quoi. Bref  le virus semble n'avoir épargné personne.
Meilleurs exemples 2011 : Machinedrum, Distal, Myrrys, New York Transit Authority, Om Unit,Kuedo.



Funkydrumming : transposition stricte des préceptes rythmiques jamesbrowniens aux musiques électroniques.A savoir combiner au forceps rigueur militaire et suavité, minimalisme martial et moiteur érogène,uniforme kaki et hédonisme.Une forme de chaos domestiqué en somme.
Meilleurs exemples en 2011 : T Williams, DJ Champion, Mr Tickles , Funkystepz.



Nuumismatique : trouble obsessionnel compulsif consistant pour un producteur à vouloir absolument inscrire ses morceaux dans la tradition du continuum hardcore britannique (the "nuum") au risque de ne jamais les terminer : comment en effet concilier la polyrythmie de la jungle, le swing du UK Garage et la rage du grime au sein d'un seul et même track ? Certains y parviennent sans faire de revivalisme stérile et méritent en conséquence notre respect éternel.
Meilleurs exemples  2011 : Pangaea, Sully, XXXY, le label 92 Points.


Dubstep:  courant musical émergent en provenance des Etats-Unis et dérivé du heavy metal.On compte parmi ses pionniers l'aventureux combo rock Korn ainsi que le visionnaire dj/producteur Skrillex  à qui l'on doit l'explosion du genre sur tout le continent américain.Mouvement prometteur, le dubstep semble de plus en plus intéresser le Vieux Continent si l'on en croit la timide apparition de producteurs londoniens tels Horsepower Productions ou Mala. Affaire à suivre donc.
Meilleurs exemples 2011 : euh...



Tropicool (copyright GregDabo) : partant du constat que la misère sociale est bien plus supportable sous le soleil de l'hémisphère Sud, le producteur tropicool tient absolument à en faire partager ses diverses expressions musicales aux classes moyennes occidentales en truffant ses morceaux de rythmes exotiques venus des Caraïbes , d'Afrique ou d'Amérique latine. Pour faire bonne figure, il s'inspire également souvent des formes les plus prolétaires de la dance-music européenne (gabber, jumpstyle,dutch house).
Meilleurs exemples 2011 : le moombahton, le label Mad Decent, le label Enchufada.

Munchi- Pero Que Lo Que Mujer by Mad Decent


6 comments:

Anonymous said...

Longue vie à votre blog!

pet said...

Pas indifférent à l'exemple de DiPisation (musicale bien sur) : peut-être un signe de mon propre vieillissement accéléré ?
Quel bon moment passé à la lecture de ce post ! A quand un dictionnaire par Nikki Sonic ?

Nikki Sonic said...

Thanksforyoursupportisme : attitude consistant pour un blogueur amateur à remercier chaleureusement les lecteurs qui laissent des comments d'encouragement .

Manuel Pulse said...

j'adore la définition du dubstep!!

Nikki Sonic said...

Bonnes fêtes à toi Manu, ainsi qu'à tous les membres du Château !

Christel said...

Ah ! Le post qu'il me fallait... Nikki Sonic, ou " La dynamique rhizomique de la Danse Music peut-elle casser des briques ? ". Tout est bien plus clair maintenant, merci !